La communauté «Opensource» est le lieu de nombreux débats. Parmi ceux-ci, la comparaison entre licences GNU/GPL et Creative Commons revient régulièrement. Je ne suis pas un expert dans ce domaine, mais j’essaie de suivre ces débats, sans forcement en comprendre tout les tenants et aboutissants. J’aimerais cependant apporter ma modeste contribution au sujet.
Je réagis en fait à un article publié sur le blog du site Framasoft.
Ce débat m’interpelle sur deux aspects:
- D’abord sur la forme,
- Ensuite sur le fond, avec plusieurs sujets, comme la différence entre les logiciels et les travaux créatifs, la signification du mot «libre», et les aspects financiers sous-jacents aux choix des licences.
Réaction excessive
Commençons donc par la forme.
J’avoue être de plus en plus «agacé» par les réactions de certains membres de la communauté du libre.
Sur quelle base certains voudraient-ils nous imposer le mode de diffusion de notre propre travail? Ne serions-nous plus libres de choisir le mode de diffusion de nos propres oeuvres?
Ces critiques systématiques et souvent virulentes, sont pour moi en contradiction complète avec les thèses qu’elles défendent. La radicalisation n’a jamais conduit à l’ouverture.
Pour moi ces débats n’ont pas lieu d’être: GPL existe, Creative Commons existe, au même titre que les licences propriétaires/commerciales: chacun est libre de suivre l’une ou l’autre, à condition qu’il respecte le mode de licence choisi.
Ces «discussions» me posent deux problèmes:
- d’abord, elles ont souvent l’objet d’affirmations complètement fausses, parce que les personnes qui participent au débat n’ont pas forcement les connaissances juridiques requises,
- ensuite, elles ternissent l’image du «libre» en général.
La communauté passe, en effet, pour un village d’irréductibles qui certes résistent encore et toujours à M$$t, mais consacre une trop grande partie de son temps dans d’interminables bagarres.
Je suis d’accord pour que la communauté reste vigilante sur l’utilisation qui est faite des licences «libres», et vérifier que ces contrats ne sont pas transgressés. Je pense que l’effort doit être avant tout pédagogique: il faut sans cesse, expliquer ce qu’est le «libre», pourquoi de telles licences existent, leurs avantages … pour amener petits à petits les développeurs, auteurs et entreprises à adopter ce modèle. Toute autre méthode me semble condamnable.
Différence entre logiciels et travaux créatifs
Personnellement, je pense que l’on ne peut pas assimiler les logiciels, aux autres travaux créatifs, pour plusieurs raisons.
D’abord, par nature une oeuvre ne peut être modifiée: modifier une création correspond à la vider de sa signification. Elle ne reflètera forcement plus ce que l’auteur voulait exprimer. Cela revient donc à créer quelque chose d’autre, qui ne peut plus porter le même nom que l’oeuvre initiale. Nous n’avons pas ce problème du côté logiciel.
Selon moi, la notion de «libre» pour les travaux créatifs correspond simplement à un libre accès. Hors dans le cas de travaux artistiques, la contrainte d’accès principale est le prix. Une diffusion sans contrainte correspond globalement à une mise à disposition gratuite de l’œuvre. Si l’on veut garantir cette gratuité après publication, les clauses NC et SA s’imposent. Cette correspondance entre liberté et gratuité ne correspond pas tout à fait aux notions défendues par la licence GPL.
La notion de droit d’auteur doit être traitée à part, car elle est déjà gérée par les lois des différents pays, et elle n’interfère pas directement avec la gratuité, ou le mode de distribution.
L’aspect technique est également à prendre en compte. Comment traduire la notion de source pour des travaux créatifs: dans certains cas, l’oeuvre et les sources sont confondus (photo par exemple), mais dans le cas d’une oeuvre graphique, pour être «libre» au sens GPL, il faudrait la distribuer avec les fichiers qui ont servi à obtenir l’oeuvre finale. Difficile à faire concrètement.
Une histoire de gros sous?
Rarement ces aspects sont abordés directement dans les discussions opposant GPL et Creative Commons, mais je pense pourtant que, dans beaucoup de cas, le choix s’effectue sur des considérations financières.
Depuis la création des premières versions des licences libres, la technologie et les mentalités ont beaucoup évolué. Nous observons trois phénomènes:
- une professionnalisation des développeurs ou des auteurs,
- des contraintes juridiques plus fortes autour des notions de brevets, droits d’auteur, …
- une démocratisation des technologies du côté auteur/développeur.
La professionnalisation est indiscutable: pour de plus en plus de personnes, la diffusion de logiciel ou de contenu est devenue une activité en soit, et donc une source de revenue. Le cas des blogs est très révélateur: les blogs les plus populaires (je ne dis pas influents) sont gérés par des gens qui y travaillent à plein temps.
Les sociétés éditrices de logiciels ou de contenu sont devenues beaucoup plus vigilantes à la sauvegarde de leur patrimoine. Il est devenu de plus en plus difficile de trouver une photo librement utilisable, cité un extrait d’un texte sans autorisation devient vite problématique …
La population des auteurs et des développeurs est bien plus importante qu’au début: cette démocratisation n’est pas sans effet secondaire. Plus la population est grande, plus il est difficile de faire respecter les règles à tout le monde. Nous rencontrons donc de plus en plus de problèmes de plagiat, de non respect des droits d’auteurs …
Pour moi ces trois aspects de l’évolution, impliquent deux comportements:
- d’abord une monétisation accrue du contenu (oeuvre ou logiciel), personne ne veut le dire, mais tout le monde rêve de gagner de l’argent avec son blog,
- ensuite une protection de son propre patrimoine
Cette protection correspond à trois volontés distinctes:
- protéger ces bénéfices: les auteurs de blogs notamment ne veulent pas que leurs articles soient recopiés mot pour mot sur un autre site, ce qui, d’une part leur enlèverait de l’audience, et d’autre part améliorerait les revenus du site fautif,
- protéger la gratuité du contenu ou de l’œuvre,
- réagir face aux contraintes de plus en plus fortes, imposées par les sociétés éditrices: Pourquoi une société commerciale m’interdit d’utiliser son contenu alors qu’elle peut se servir du mien?
Dans ce contexte, les licences Creative Commons peuvent sembler très attractives, parce qu’elles constituent une protection explicite du contenu, surtout avec les fameuses clauses NC-SA, qui reprennent mot pour mot ce que pensent beaucoup de producteur de contenu: Elles m’assurent que d’autres ne pourront pas faire d’argent, sans autorisation, avec le résultat de mon propre travail.
Ce phénomène est moins accentué du coté des logiciels à causedu modèle économique sous-jacent: le logiciel est gratuit, mais les services autour sont monétisés. Avec les travaux créatifs, cette notion de service n’existe pas.
Personnellement, la monétisation n’est absolument pas l’objectif de ce blog (même si j’y ferai apparaître de la publicité un peu plus tard), mais j’utilise la clause NC-SA parce que je ne veux pas que des entités commerciales/ professionnelles, qui ont des moyens largement plus importants que les miens puissent faire de l’argent avec un contenu que j’ai mis beaucoup de temps à élaborer. Je tiens également à ce que ce contenu reste gratuit.
Pour résumer, nous avons donc un décalage assez net, entre les débats «libres / non libres», «GPL / Creative Commons», qui portent avant tout sur la philosophie des textes, alors que la réalité est plutôt économique.
Libre ou pas?
Malgré ces préoccupations mercantiles, les licences Creative Commons sont-elles libres?
Regardons une à une les clauses du contrat, dans le cas BY-NC-SA (j’exclue délibérément la clause ND):
- Pour moi, l’utilité de la clause BY est discutable pour la France: la loi sur les droits d’auteurs est très stricte, s’applique aux logiciels, et couvre largement les règles liées à cette clause. Il me semble que les licences GPL ne traitent pas du droit d’auteur, en s’appuyant sur les lois existants déjà dans les différents pays. La licence est d’ailleurs souvent complétée par une mention copyright,
- La clause SA me semble assez similaire aux conditions de distribution imposée par la licence GPL. Le produit redistribué doit l’être avec les mêmes clauses que le produit d’origine. La différence entre les deux licences, est que GPL est plus précise,
- La clause NC constitue une contrainte que l’on ne trouve pas dans les licences GPL. Elle prive le distributeur d’une partie de ses libertés, en lui imposant la gratuité distribution.
En cela effectivement, nous ne pouvons pas qualifier de «libre» les licences Creative Commons.
Mais est-ce le bon raisonnement?
Une question de point de vue
Tous les argumentaires développés précédemment s’adressent principalement à des «gens du métier». Plaçons-nous maintenant d’un point de vue «utilisateur». Cet utilisateur n’est pas un spécialiste de la techno (même s’il le croit bien souvent) ou du droit. Il n’est donc pas intéressé par
- le fait de pouvoir redistribuer ou pas les logiciels qu’il utilise. La plupart des utilisateurs ne savent même pas que l’achat d’un logiciel, ne les rend pas propriétaire de ce logiciel, mais leur donne simplement le droit de l’utiliser.
- le fait de disposer des sources. Qu’en ferait-il exactement? Même chez les professionnels, combien sont capables d’analyser le code d’un OpenOffice, ou d’un The Gimp, et parmi ceux-là, combien sont capables de le modifier.
Ce qui intéresse 99% des utilisateurs, c’est la gratuité. D’un point de vue de l’utilisateur, la liberté correspond donc à un libre accès, donc à un accès gratuit. D’où la confusion entre logiciel «libre» ou «opensource» et logiciel «gratuit».
Du point de vue de l’utilisateur, les licences Creative Commons BY-NC-SA peuvent donc être qualifiées de «libres».
Attention aux mirages
Si la motivation de ceux qui choisissent Creative Commons BY-NC-SA est financière, le choix de cette licence dans un esprit de protection, est-il réellement efficace?
Pour l’être, il faudrait que les différents interlocuteurs la respectent, et que nous soyons capables d’agir sur ceux qui ne la respectent pas. Dans les faits, je suis bien incapable de savoir si l’un de mes articles et copié ou non, et si je constate une copie que pourrais-je faire? Quels moyens de pression réels aurais-je sur le contrevenant? Aucun, si ce n’est une campagne de dénigrement comme on en voit apparaître régulièrement.
De ce point de vue, les licences Creative Commons, même si elles sont plus explicitement protectrices, ne le sont réellement que pour des personnes qui ont les moyens de les faire respecter. Pour ceux qui n’ont pas ses moyens, elles sont inefficaces. Au début, je me suis longtemps poser la question s’il ne valait pas mieux rester sur une licence du type GPL, moins contraignante, et donc peut être plus réaliste.
Conclusion
Les débats sur le caractère libre ou non de certains licences, ou sur la notion même de cette notion de «libre», me semblent dangereux, pour deux raisons:
- d’abord parce qu’ils brouillent le message que la communauté veut faire passer: en fonction des interlocuteurs, les notions d’opensource, de libre sont difficiles à comprendre. Si en plus, les explications diffèrent, l’incompréhension sera totale.
- ensuite parce que ces débats sont finalement très éloignés des préoccupations des utilisateurs.
Pour résumer ce «trop» long article: GPL et Creative Commons BY-NC-SA opposent globalement deux points de vue. La liberté peut être le fait:
- de pouvoir faire ce que l’on veut du contenu, y compris de le modifier et de le vendre,
- de rendre un contenu accessible au plus grand nombre, en assurant sa gratuité.
Pour moi, ces deux licences ne se concurrencent pas, mais se complètent: la première s’applique parfaitement aux logiciels. La seconde me semble plus efficace (plus claires en tout cas) pour les travaux créatifs.
La question qui apparaît derrière toute celles que j’ai posé plus haut, est: quelle est la finalité du libre? A quoi sert-il? J’essaierai d’y répondre dans un prochain article.
Références
- Protection juridique des logiciels libres –Droits et Technologies,
- Logiciel libre: le droit d’auteur contre le droit d’auteur –Droits et Technologies.
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