Présentation
Ralph Stacey est un professeur et un chercheur en management. Il s’est particulièrement intéressé aux dynamiques des organisations.
Le modèle de Stacey, appelé également matrice de Stacey, permet de comprendre comment les organisations gèrent leurs activités dans des environnements dynamiques, caractérisés par l’incertitude et la complexité. Le modèle aide à formuler des stratégies adaptées à cette complexité.
Le modèle se présente sous la forme d’une carte, basée sur deux axes:
- Le niveau de certitude (clarté technique): Les solutions sont-elles claires, et facilement prévisibles, ou au contraire, sont-elles complexes, et difficiles à prévoir,
- Le niveau de consensus : Les parties prenantes partagent-ils une vision commune des objectifs et des solutions ?
En fonction du niveau de certitude d’une part, et du niveau de consensus d’autre part, le modèle identifie cinq zones principales:
- Zone de simplicité : Les problèmes sont clairs et les solutions sont connues. Les décisions sont simples et rationnelles (Technical rational decision making). Cela signifie qu’il y a un accord élevé sur la décision et la façon de procéder. Dans cette zone, les leçons du passé (lessons learnt) peuvent être directement ré-utilisées. La zone de simplicité est la zone d’application des normes, des meilleures pratiques, ou des procédures standards.
- Zone de complication / Décision évaluative : Dans cette zone, l’accord est élevé sur la décision à prendre, mais il y a une incertitude sur l’approche et/ou les étapes nécessaires. Le suivi d’un plan prédéfini ne fonctionnera pas. Dans de tel cas, nous pouvons faire appel à des experts. Les décisions sont prises à partir d’analyses approfondies. Nous parlons de décision évaluative (Judgemental decision making). Dans cette région, l’objectif est de diriger le projet vers un état plus stable, où les incertitudes liées aux solutions techniques, sont maîtrisées (dans le sens où les risques sont sous contrôle)
- Zone de complication / Décision politique : Dans cette zone, le niveau de certitude sur les solutions à utiliser, est élevé, mais le niveau de consensus est faible sur les résultats attendus. Cela arrive lorsque les parties prenantes ont des intérêts divergents. La politique prend le pas sur tout le reste. Ces cas nécessitent beaucoup de discussions, et de négociations conduisant à un compromis (Political decision making).
- Zone de complexité (le bord du chaos) : Si l’incertitude sur les techniques à utiliser, augmente, et/ou si le consensus entre les parties prenantes est faible, nous entrons dans la zone de complexité. Dans cette zone, les approches de gestion traditionnelles ne sont plus efficaces. D’un côté, le nombre d’opinions est trop important pour une résolution via une simple négociation, et de l’autre, une simple consultation d’expert ne peut pas complètement résorber le niveau d’incertitude technique. Les approches conseillées sont des approches de brainstorming, de cocréation (complex decision making), ou l’organisation de campagnes de tests (POC - Proof of Concept). Dans tous les cas, l’objectif est de réduire les incertitudes, et d’obtenir une compréhension commune, afin d’augmenter le consensus.
- Zone du chaos (ou d’anarchie) : Dans cette zone, le nombre d’opinions différentes est très élevé, et il n’y a pas réellement de solution identifiée. Le niveau de désaccord et d’incertitude est tel que les méthodes traditionnelles de planification, de supervision et de négociation sont inopérantes. Le risque est que l’organisation sombre dans l’anarchie, ou que le projet devienne complètement incontrôlable. Les organisations doivent absolument éviter cette zone.
Comme nous venons de le voir, le modèle de Stacey propose donc une modélisation de la complexité, partant de situations simples, facilement maîtrisables, pour finir avec des situations incontrôlable / chaotique. Il faut noter, que certains ajoutent une autre variable pour montrer que le nombre d’individus influencent dans le système fait augmenter la complexité pour trouver une solution.
Application à la gestion de projet
L’utilisation du modèle de Stacey dans le cadre de la gestion de projet, permet de sélectionner la bonne approche en fonction du positionnement du projet dans la cartographie.
L’application du modèle de Stacey s’effectue en 3 étapes principales :
- Comprendre les dimensions clés du modèle,
- Cartographier le projet dans le modèle de Stacey,
- Adapter les méthodologies et outils de gestion,
- Piloter et ajuster le projet.
Comprendre les dimensions clés du modèle
L’objectif de cette étape est de bien comprendre le positionnement du projet par rapport aux deux dimensions principales du modèle de Stacey: le consensus et la certitude.
- Certitude : À quel point les livrables et les étapes du projet sont clairs ?
- Cette dimension mesure la capacité à prédire le résultat final et les étapes nécessaires pour l’atteindre,
- Si le projet repose sur des solutions éprouvées et des méthodes bien connues, il se situe dans une zone de certitude élevée,
- À l’inverse, lorsque le projet implique de fortes inconnues, comme des technologies non testées ou des changements imprévus dans l’environnement, il se trouve dans une zone de faible certitude.
- Consensus : Quel degré d’accord existe entre les parties prenantes ?
- Cette dimension mesure à quel point les objectifs du projet, les priorités, et les moyens à employer sont partagés par l’équipe et les parties prenantes,
- Un consensus élevé signifie que tous sont alignés sur une vision commune,
- En revanche, des désaccords importants sur les attentes ou les approches indiquent un faible consensus.
Cartographier le projet dans le modèle de Stacey
Cette étape consiste à positionner le projet dans la matrice de Stacey, en évaluant les niveaux de certitude et de consensus identifiés précédemment. Cette cartographie permet de comprendre le niveau de complexité auquel le projet est confronté, et de sélectionner la bonne approche.
Adapter les méthodologies et outils de gestion
1. Zone de Simplicité (Certitude élevée, Consensus élevé)
Les projets dans cette zone sont routiniers et bien structurés. Ils ne nécessitent généralement pas d’approches complexes et peuvent être gérés avec des méthodologies prédictives standard. Une approche sérialisée et waterfall est particulièrement adaptée.
2. Zone de Complication (Certitude faible, Consensus élevé)
Ces projets impliquent des défis techniques nécessitant une expertise spécialisée. Ce type de projets nécessite des itérations fréquentes et des approches adaptatives. Les résultats ne sont pas entièrement prédictibles, mais une vision commune aide l’équipe à avancer. Une approche par expérimentation et apprentissage permet de résoudre un à un, les points potentiellement bloquants (POC Proof of Concept).
3. Zone de Complication (Certitude élevée, Consensus faible)
Le désaccord parmi les parties prenantes peut ralentir le processus de décision, mais les solutions restent réalisables sans le recours à une expertise spécifique. La gestion des parties prenantes doit être approfondie. Le chef de projet doit organiser des ateliers de travail, ou des sessions de médiation avec les parties prenantes. La gestion de projet peut être linéaire ou itérative (Agile).
4. Zone de complexité (Certitude faible, et Consensus faible)
Dans la zone de complexité, les approches de gestion traditionnelles ne sont pas efficaces. Les projets dans cette zone impliquent de multiples axes de complexité, mais sont un terrain favorable à la créativité, à l’innovation et à la rupture avec le passé. L’approche recommandée est l’utilisation d’une méthode Agile, avec des itérations courtes, et des tests fréquents. Comme dans la zone de complication, les expérimentations peuvent consolider les voies techniques envisagées. Une bonne communication avec les parties prenantes est également essentielle.
5. Zone de chaos
La zone de Chaos est celle où le niveau de risque est le plus élevé. Le projet est instable au risque d’échouer totalement. Les différents entre les parties prenantes sont quasiment irréconciliables, et les difficultés techniques s’accumulent. L’échec du projet peut conduire à l’échec de l’organisation elle-même.
L’objectif est de sortir le projet de cette zone de Chaos, en le stabilisant. L’approche globale consiste, dans ce cas, à réduire la portée du projet (project scope), pour prioriser les efforts sur les actions les plus importantes / critiques. Les itérations fréquentes doivent porter sur les objectifs à court terme. Ces itérations fréquentes sur des objectifs réduits et atteignables permettent de redonner confiance à l’équipe projet, obtenir de petits consensus auprès des parties prenantes, et de réduire la complexité des challenges techniques.
En résumer
Zone | Principal défis | Approche recommandée | Outils et méthode |
---|---|---|---|
Simplicité | Prédictive, linéaire | waterfall | |
Complication | Manque de consensus | Prédictive ou itérative | Atelier et médiation |
Complication | Manque de certitude | Itérative (Agile) | Analyse par des experts, expérimentation, POC |
Complexité | Incertitude et manque de consensus constant | Itérative, adaptatives | Ajustement rapide, tests et status fréquents |
Chaos | Instabilité générale | Itérative, adaptative | Gestion de crise, priorisation à court terme |
Piloter et ajuster le projet
Le chapitre précédent peut globalement se résumer avec le schéma suivant:
Un projet n’est jamais statique: les objectifs ou les parties prenantes peuvent évoluer au fil du temps, ainsi que l’environnement (contexte économique, par exemple). Il est donc important d’organiser des réévaluations périodiques
- pour recartographier le projet,
- pour adapter les méthodologies en fonction des changements et des évolutions.
Par exemple : si un projet passe de la zone de chaos vers la zone de complexité, le chef de projet peut alléger le dispositif de surveillance, allonger la durée des sprints.
Une autre approche est de cartographier, non pas le projet lui-même, mais les différents lots (work packages). De cette façon, le chef de projet peut combiner les méthodologies, en fonction des lots, en utilisant, par exemple, une méthode Agile pour les lots complexes, et une méthode Waterfall pour les lots simples.
Avantages et inconvénients de la méthode de Stacey
Avantages
Globalement, le modèle Stacey apporte des avantages significatifs en gestion de projet, en aidant le chef de projet à mieux comprendre les points de complexité de son projet, et en l’aidant à naviguer dans des environnements incertains ou conflictuels.
En entrant un peu plus dans les détails, la méthode
- Permet un diagnostic précis et rapide : le modèle permet d’identifier rapidement les défis spécifiques liés à chaque projet. Il aide les chefs de projet à anticiper les problèmes potentiels,
- Apporte une certaine flexibilité et adaptabilité, en encourageant une réévaluation périodique / continue, et en adaptant les méthodes,
- Permet de détecter le niveau de consensus entre les parties prenantes, en identifiant les désaccords,
- Améliore l’efficacité globale des projets, en guidant les équipes vers les méthodes les plus adéquates.
Inconvénients
La méthode de Stacey comporte quelques inconvénients, parmi lesquels
- La difficulté d’établir une cartographie :
- Faire l’évaluation d’un projet, ou d’un work package, de façon objective, n’est pas toujours facile : Il faut trouver les bons niveaux de consensus, et de certitude, parmi toutes les perceptions des parties prenantes (client, équipes projets, …),
- De cette cartographie dépend le choix des approches et des méthodologies. La subjectivité de la cartographie constitue donc un risque sur le choix des méthodes et outils.
- Le flou des frontières entre les différentes zones :
- Les limites entre les zones ne sont pas toujours évidentes à trouver,
- Par exemple: si l’on considère que la zone de complexité, quelle dose d’expertise, et d’expérimentation doit-on apporter en fonction du niveau de certitude ?
- Complexité de gestion, et résistance aux changements :
- Gérer les work packages en considérant différentes méthodes n’est pas toujours simple, notamment lorsqu’il faut synchroniser les livraisons. Il peut y avoir des difficultés également dans la communication des status d’avancement : comment fournir un tableau d’avancement cohérent au niveau projet, si les méthodes diffèrent entre les work packages ?
- La cartographie, ainsi que ses conséquences, notamment l’aspect multi méthodologies, peut susciter des questions, voir de la résistance au sein des équipes projet.
Conclusion
Le modèle STACEY est un outil performant, permettant de mieux comprendre et gérer la complexité des projets. Il permet une adaptation continue et une meilleure prise de décision, surtout dans des situations incertaines ou conflictuelles. Son application nécessite cependant une bonne connaissance du modèle, une ouverture au changement de la part des parties prenantes.
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