Bref historique
Le modèle de Tuckman a vu le jour, dans les années 1960, à une période de fort développement de la psychologie sociale, et des études sur les groupes. L’article initial de Bruce W. Tuckman, a été publié en 1965, et s’intitulait “Developmental Sequence in Small Groups”. Le modèle s’est diffusé assez rapidement, car il offrait une explication simple et intuitive du développement des groupes.
Tuckman a observé que la plupart des groupes passent par quatre phases distinctes avant d’atteindre leur plein potentiel : Formation (Forming), Tension (Storming), Normalisation (Norming), Performance (Performing). Quelques années plus tard, le modèle sera complété une cinquième phase appelée Dissolution (Adjourning).
Le modèle de Tuckman se représente le plus souvent sous la forme d’une courbe (voir figure 1).
Nous trouvons également une schématisation sous la forme d’un escalier ou d’une échelle (figure 2)
Les cinq étapes du modèle de Tuckman
Formation (Forming)
Cette phase se caractérise par la mise en place initiale de l’équipe. Les membres apprennent à se connaître et commencent à comprendre leurs rôles respectifs. C’est une phase d’orientation et de découverte mutuelle.
Pendant cette phase
- Les membres sont concentrés sur la compréhension des objectifs de l’équipe,
- D’un point de vue relationnel, ils découvrent le comportement des uns et des autres. Ils sont donc souvent prudents, et cherchent plutôt à éviter les conflits.
Le manager joue un rôle central en guidant le groupe
- C’est à lui de clarifier les rôles et les responsabilités des membres du groupe, pour que chacun comprenne les enjeux, et que tout le monde puisse y trouver sa place,
- Il doit également instaurer un climat de confiance entre lui et les membres de l’équipe, mais aussi entre les membres eux-mêmes. Ils doivent mieux se connaître entre eux et renforcer les liens afin qu’ils communiquent mieux.
Cette une phase pendant laquelle la communication est importante. Il faut insister sur la vision, et les finalités, pour aligner les équipes sur leurs objectifs. Les managers doivent également accompagner chaque membre au plus près en veillant à ce que chacun comprenne ses missions et son domaine d’intervention,
Pour être efficace, il faut également fixer « les règles du jeu », et les rituels. Il ne s’agit pas obligatoirement de mettre en place un micro management, mais cette phase nécessite d’être directif, en suggérant des actions, ou des règles, afin d’anticiper les conflits potentiels.
Tension (Storming)
Cette phrase est la plus critique du modèle. A ce stade, l’équipe commence à réaliser le travail demandé, et augmente le rythme. Les véritables dynamiques de groupe commencent à émerger. Les membres de l’équipe commencent à confronter leurs idées et leurs approches.
C’est à ce moment que naissent certains conflits :
- Les membres n’ont pas assez de recul sur les différentes situations auxquelles ils font face,
- Des frustrations peuvent apparaître car les modes de fonctionnement de chacun sont différents,
- Chacun cherche encore sa place dans la réalisation des différentes tâches. Se développent les incompréhensions sur le rôle de chacun, sur les objectifs, …
- De mauvais comportements peuvent apparaître :
- Certains cherchent à imposer leur approche,
- D’autres restent passifs, sans pour autant s’adapter à l’équipe,
- Manque de prise de responsabilité,
- Des sous-groupes peuvent se créer (clans).
Cette période peut être assez lourde à gérer pour le manager. Pour se sortir de cette phase, il doit adopter un rôle de médiateur, avec un management qui reste directif. Il doit
- Observer et détecter les signes de dysfonctionnement : Noter l’ensemble des problèmes rencontrés, et les protagonistes,
- Traiter ces problèmes un par un : comprendre d’où ils viennent, proposer des solutions, ou suggérer/inciter les membres des équipes à en trouver une,
- Gérer les conflits: Il est important de ne pas laisser un conflit se développer. Le manager doit donc les résoudre rapidement. Cela peut passer par des réunions de résolution de conflits.
- Bien préparer les rétrospectives : Rappeler la vision et les objectifs, utiliser les notes pour rappeler les faits, proposer / suggérer des solutions,
- Si les problèmes sont plus importants, leur résolution peut passer par l’organisation, des sessions de Team Building, ou de coaching en fonction du niveau de difficulté.
Normalisation (Norming)
La phase de normalisation démarre lorsque le groupe commence à résoudre les conflits de la phase précédente, et à établir des normes communes. La collaboration entre les membres devient plus efficace, le nombre d’incidents se réduit, et une véritable cohésion de groupe commence à se former.
Pendant cette phase
- Les membres montrent plus de flexibilité, d’acceptation mutuelle, et une meilleure coopération.
- Les rôles sont mieux définis et acceptés,
- Le groupe commence à travailler de manière plus harmonieuse,
- Les membres du groupe mettent en place les règles, les processus, et les routines améliorant l’efficacité.
Le manager peut, à partir de cette phase, adopter un style de management plus délégatif, permettant au groupe de s’auto-gérer et de renforcer son autonomie. On parle de micro-coaching, et micro-ajustement. Il s’agit de fournir un support aux équipes pour qu’elles trouvent leur rythme.
A ce stade-là, la vigilance reste importante : le passage de la phase de Tension à la phase Performance n’est pas immédiat. A une phase d’amélioration peut succéder une phase de régression, et chaque individu évolue différemment. Certains ont besoin de plus d’aide que d’autres.
Performance (Performing)
Après les efforts de la phase précédente, la magie opère : les tensions s’apaisent, et l’équipe travaille avec une efficacité optimale. La phase de performance est celle où le groupe atteint sa pleine maturité. Les membres travaillent de manière efficace et autonome pour atteindre les objectifs communs. Le groupe est maintenant fonctionnel et productif.
Pendant cette phase
- Un vrai esprit d’équipe et un réel sentiment d’appartenance sont en train de naître : Chacun connaît les modes de fonctionnement des autres et ils savent appréhender les réactions de chacun,
- Les membres sont motivés, concentrés sur les tâches, et montrent une certaine interdépendance,
- Ils se soutiennent mutuellement et sont capables de résoudre les problèmes de manière proactive.
Le groupe étant capable de s’auto-gérer, le manager devient un facilitateur, et n’a besoin d’intervenir aussi souvent que dans les phases précédentes. Son management peut-être entièrement délégatif. Son rôle est
- De veiller au maintien de cette bonne ambiance,
- De maintenir la motivation, et l’engagement des membres de l’équipe.
Le manager doit rester vigilant : avec le temps, d’autres types de conflits peuvent apparaître, surtout si les équipes sont sous pression. Le manager doit également continuer à communiquer, en les informant de changements de contexte (environnement extérieur au projet), pouvant impacter la vision, ou faire évoluer les objectifs.
Dissolution (Adjourning, Closing, Deforming)
Cette dernière phase ne faisait pas partie du modèle initial. Elle a été ajoutée par Tuckman en 1977. Dans cette phase, le groupe se prépare à se dissoudre après avoir atteint ses objectifs.
L’activité du groupe ralentit. Les membres peuvent éprouver un mélange de sentiments, allant de la satisfaction de ce qui a été accompli, à la tristesse de quitter des collègues. S’ajoute dans les deux cas, l’inconnu que représente la suite.
Le manager doit s’assurer que la transition s’effectue « en douceur » pour chacun des membres de l’équipe. Il doit pour cela
- Célébrer les réussites, au niveau du groupe, ou au niveau individuel,
- Aider les équipes à construire une rétrospective globale : ce qui a marché, ce qui n’a pas marché,
- Aider les membres des équipes à gérer leur transition vers de nouvelles fonctions, ou de nouveaux projets,
- S’assurer que les derniers objectifs, et livrables sont achevés (documentations, tests, …)
Un processus continue
Dans le cadre d’un projet, les équipes sont rarement stables : nous avons des nouveaux arrivants, des départs, des dissolutions, … en fonction de la charge et des étapes du projet.
C’est pourquoi nous pouvons voir assez souvent une représentation en cycle du modèle.
Applications du Modèle de Tuckman
Comme je l’ai déjà mentionné, le modèle de Tuckman peut s’appliquer dans de multiples cas, notamment
- à la gestion de projet,
- au développement organisationnel,
- au développement d’une équipe.
Gestion de Projet
L’échelle de Tuckman fait partie des méthodes mentionnées dans le PMBok 7® (section 4 - Modèles, techniques et artefacts). Le modèle de Tuckman peut être utilisé par le chef de projet, pour comprendre ou en sont les différentes équipes projet, et comment elles évoluent. Il peut alors adapter son style de gestion en fonction de la phase.
Phase | Technique |
---|---|
Formation | Définir clairement le contexte, les objectifs du projet, les objectifs de chaque équipe |
Tension | Etre vigilant aux signes de tension, surveiller la performance des équipes, anticiper les conflits |
Normalisation | Insister sur les rôles et responsabilités (RACI), ajuster éventuellement le rôle de chacun |
Performance | Focaliser les équipes sur les objectifs |
Dissolution | Organiser la transition, reconnaître les réussites |
Développement organisationnel
Une entreprise ou une organisation peuvent utiliser le modèle de Tuckman pour structurer le développement des équipes à long terme, ou dans le cadre d’une réorganisation. Ce modèle peut jouer le rôle d’outil de monitoring en permettant de mieux comprendre les phases d’adaptation et d’intégration.
La stratégie d’une entreprise lors d’une réorganisation peut être de déclencher des formations, des séances de team building, en fonction des phases.
Développement d’une équipe
Un manager d’une équipe peut utiliser le modèle de Tuckman pour comprendre ou en est son équipe, et mettre en place les plans d’actions nécessaires.
Il peut également utiliser le modèle de Tuckman pour gérer l’intégration de nouveaux membres dans son équipe, ou accompagner une réorganisation.
L’approche d’un manager peut être d’organiser des sessions de Team Building. Il peut également organiser des workshops pour définir une stratégie et des objectifs pour l’équipe.
Critiques du modèle
L’un des principaux reproches du modèle de Tuckman est sa simplicité. Le modèle suppose que les groupes évoluent de manière linéaire à travers les différentes étapes, mais la réalité est plus complexe :
- Les individus évoluent à des vitesses différentes,
- Lors de son évolution, une équipe peut se scinder en sous-groupes, qui peuvent évoluer de manière différente,
- Un groupe peut régresser en fonction des circonstances.
L’autre reproche sur ce modèle de Tuckman, est qu’il se focalise sur les processus interne du groupe, sans prendre en compte les influences externes comme la culture organisationnelle, les ressources disponibles, et les pressions externes. Le contexte organisationnel et les facteurs externes peuvent fortement influencer la manière dont un groupe évolue. Par exemple,
- Une équipe sous forte pression extérieure peut rester bloquée dans la phase de tension ou régresser après avoir atteint la phase de performance,
- Les relations entre les membres du groupe, peuvent dépendre d’un historique,
- Une équipe internationale peut éventuellement souffrir d’une incompréhension des différences culturelles.
Certaines critiques remettent en question l’applicabilité universelle du modèle de Tuckman, suggérant qu’il est plus adapté à certains types de groupes qu’à d’autres, comme les équipes de projet temporaires plutôt que les équipes de longue durée.
D’autres phénomènes peuvent, en effet, apparaître sur le long terme : les routines, le sentiment de propriétés sur certains domaines, peuvent créer de nouvelles tensions, et faire régresser l’équipe.
Conclusion
Le modèle de Tuckman va bientôt fêter son 60ième anniversaire (1965-2025). Le modèle reste toujours applicable au développement des équipes actuelles, et il est toujours largement cité, et utilisé. Il fournit une méthode simple pour comprendre les évolutions d’une équipe de sa création, et sa dissolution.
Dans le cadre de la gestion de projet, les changements au sein des équipes sont assez fréquents : le chef de projet doit rester vigilant, en mesurant les impacts des départs ou des arrivées de nouveaux collaborateurs.
Le modèle offre un moyen de mieux comprendre les groupes/les équipes, et d’adapter son style de management.
Références
- Le modèle de Tuckman sur le site RH Performances
- The Tuckman Ladder Model (5 Stages of Team Development) sur le site ProjectManagers.net
- The Tuckman model : 5 stages of team development sur le site Log Rocket
- Tuckman sur le site Coach Agile
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